Contact : Laurent Tocquer

Pinces Optiques

Un système de pinces optiques a été installé au Laboratoire Navier à l’automne 2021 grâce à un co-financement de la région Île-de-France (appel à projet SESAME), de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, et de la fondation des ponts. Ce dispositif expérimental a permis aux chercheurs de l’équipe Rhéophysique et Milieux Poreux d’étudier le vieillissement de suspensions concentrées à l’échelle des particules colloïdales, et de montrer que celui-ci est dû au vieillissement des contacts entre particules

Les pinces optiques sont un dispositif expérimental qui permet de manipuler des objets microscopiques. Un faisceau laser focalisé permet de piéger un objet de petite dimension (typiquement quelques microns) et de le déplacer de façon très précise (déplacements de l’ordre du nanomètre) par simple déplacement du faisceau laser. C’est un dispositif qui est essentiellement utilisé dans le domaine de la biologie, pour étudier et manipuler des cellules et des molécules d’ADN. Dans le contexte des matériaux, il n’existe que deux autres dispositifs similaires dans le monde : aux USA (université du Delaware) et en Chine (université de sciences et technologies de Chine).

Au laboratoire Navier, cet appareil a été utilisé pour identifier le mécanisme de vieillissement des suspensions colloïdales concentrées. Ces matériaux sont présents dans de très nombreux domaines : l’environnement (boues, limons, argiles), la cosmétique (crèmes, dentifrice), l’agroalimentaire (pâtes, yaourt), la géotechnique (boues de forage), la construction additive (ciment, terre crue), … Ils sont constitués de particules microniques en suspension dans une solution aqueuse. Une des caractéristiques de ces matériaux est que leurs propriétés rhéologiques macroscopiques (contrainte seuil et module élastique) évoluent avec le temps de repos : ils vieillissent. Dans la littérature, ces évolutions temporelles sont généralement attribuées à des évolutions de la microstructure de la suspension. En prenant le contre-pied de ces approches, nous avons pu montrer que la microstructure de nos échantillons est figée très rapidement et que le vieillissement ne peut pas être expliqué par des évolutions de microstructure. Les évolutions qui ont lieu dans le matériau ont donc lieu à une échelle inférieure à la taille des particules (le micron) :  celle des contacts entre les particules (le nanomètre). Pour le montrer, il nous a fallu être capable de manipuler des objets de la taille du micron et de mesurer des changements ayant lieu à une échelle de quelques nanomètres (10-9 m).

Une particule de latex de 3 µm de diamètre fait des allers-retours à vitesse constante en déplaçant un piège optique.

Une “frimousse" de particules de latex de 3 µm est formée en multiplexant les pièges des pinces optiques. Les particules sont ensuite relâchées en désactivant tout les pièges. Crédits : Antoine Aubel

Fig. 1 : (a) Essai de flexion 3 points sur des bâtonnets de particules de silice de diamètre 1µm. (b) Force en fonction de la déflexion de la poutre pour 3 temps de repos. (c) Rigidité en flexion en fonction du temps de repos pour différentes forces ioniques et différentes longueurs de bâtonnets.

Le dispositif de pinces optiques permet justement explorer ces échelles. De plus, les forces mises en jeu dans ces systèmes sont de l’ordre de quelques piconewtons ou quelques dizaines de pN (10-12 N – typiquement les forces de Wan der Walls). Grâce à ce dispositif, nous avons montré que dès lors que deux particules de silice sont rapprochées l’une de l’autre, elles forment presque instantanément un contact solide-solide. Cela explique que la formation des contacts fige rapidement la microstructure, et rende inopérant le vieillissement structurel. Nous nous sommes inspirés des travaux menés par Eric Furst, en utilisant les pinces pour assembler les particules sous forme de bâtonnet et les solliciter en flexion 3 points (Fig. 1a). Il a été montré que ces batônnets présentent un module de flexion fini, ce qui implique que les contacts interparticulaires résistent au glissement et au roulement.
Cette expérience permet d’accéder à la rigidité des contacts en flexion (partie élastique) et au moment critique (rupture). Un exemple de résultat montrant la force en fonction de la déflexion du bâtonnet est présenté sur la figure 1b. Par ailleurs, en réalisant des tests de flexion à différents temps de repos après la formation des contacts, nous avons pu quantifier le vieillissement des contacts. On constate que pour différents temps de repos les courbes ne se superposent pas. La rigidité en flexion k0 (Fig.1c), qui est la pente de ces courbes de la fig. 1b, augmente avec le temps de repos.

Si l’on compare les grandeurs macroscopiques (module élastique mesuré par rhéométrie conventionnelle) et microscopiques (rigidité en flexion mesurée avec les pinces optiques) pour les mêmes particules silice – 1µm de diamètre, on a une relation linéaire entre les 2 grandeurs, sans paramètre ajustable (Fig.2). Les évolutions temporelles du module élastique d’une suspension concentrée de particules de silice s’expliquent par le renforcement avec le temps de repos de la rigidité des contacts entre les particules, et non par une évolution de la microstructure de l’échantillon [1]. De la même façon, nous avons pu montrer que les évolutions temporelles de la contrainte seuil de nos suspensions sont liées au moment critique de rupture de nos bâtonnets. Nous avons proposé une analyse théorique des relations entre grandeurs à l’échelle du contact et caractérisation macroscopique. Ces travaux se poursuivent au laboratoire afin de caractériser l’influence de l’ajout de polymères en solution. En effet, ces molécules vont s’adsorber à la surface des particules et ainsi modifier les propriétés de contact.

Échantillon (format lame de microscope) inséré entre les deux objectifs des pinces optiques.

References

  • Contact and macroscopic aging in colloidal suspensions, F. Bonacci, X. Chateau, E. M. Furst, J. Goyon and A. Lemaitre, Nature Materials, 19, 775-780 (2020).
  • Yield stress aging in attractive colloidal suspensions, F. Bonacci, X. Chateau, E. M. Furst, J. Goyon and A. Lemaitre, Physical Review Letters 128, 018003 (2022).
  • Adjuvantation de suspensions modèles : caractérisation multi-échelle, Antoine Aubel, PhD thesis (2023).